Message à propos de l’exclusion de Timothée, autiste, de son collège de secteur à Lyon

 

30 septembre 2014 – Message d’Eric LUCAS, de l’Alliance Autiste,
à propos de l’exclusion de Timothée, autiste, de son collège de secteur à Lyon.

Suite à l’intervention de la police à l’encontre de la mère de Timothée au collège de la Tourette, qui en a profité pour exclure à nouveau l’enfant « de facto » (par la contrainte physique), je tiens à réaffirmer mon soutien à cette famille, et à demander des comptes à l’administration au sujet de ses agissements (selon l’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, à valeur constitutionnelle).

En effet :

1/ Il n’existe pas de décision écrite légalement applicable concernant un refus de cet élève dans cet établissement, qui doit donc l’accueillir, comme l’année précédente ;

2/ Les allégations de « dangerosité » de cet enfant sont des prétextes fallacieux infondés, et je peux le soutenir après avoir côtoyé cet enfant et cette famille durant plusieurs jours sans interruption ;

3/ Les coalitions de fonctionnaires (et de syndicats) contre cette mère – résultant probablement de rancœurs consécutives à ses actions désespérées de défense légitime – n’ont rien à voir avec la seule chose qui nous intéresse ici : l’intérêt de l’enfant – et il ne saurait donc être tenu compte de ces pressions et tractations pour appuyer une prétendue légitimité de la partie administrative ;

4/ Je déplore les excès dans les attaques (et insultes) exprimées par certains internautes à l’encontre du Principal du collège, mais – de la même manière – je considère ce problème personnel d’atteinte à son honneur comme un « dommage collatéral » qui ne doit pas avoir d’incidence sur la vie de cet enfant, dont l’exclusion se trouve désormais renforcée et encouragée par un corps enseignant local rendu apparemment hostile et fermé ;

5/ Non seulement l’administration bafoue, dans les faits, les droits de cet enfant, en piétinant par la même occasion la supposée « solidarité de l’ensemble de la communauté nationale [avec les personnes handicapées] » (inscrite dans la loi 2005-102), mais en plus, toutes les autres options qu’elle propose (à la place du collège auquel il a droit) sont à son désavantage (par exemple, on lui propose une place similaire – dans une classe ordinaire – dans un autre collège, situé sensiblement plus loin, très loin pour ce jeune autiste), ce qui à mon avis ne peut s’expliquer que par la vexation de son collège de secteur et/ou de l’administration, qui ne veut pas reconnaître ses erreurs ni accepter les demandes pressantes de la mère de Timothée ;

6/ Il est important de noter que cet enfant avait une vie stable et rassurante, avec un entourage familial très aimant et adapté (prise en charge continue à la maison), des repères dans son quartier (calme), qu’il est aimé par ses camarades (ce qu’ils expriment presque unanimement à la sortie du collège, en confirmant bien qu’ils n’ont absolument aucune crainte à son égard) et que donc toute perturbation de cette « configuration » est susceptible de lui nuire, par exemple dans la mesure où il ne pourrait plus rentrer chez lui à midi, entre autres facteurs) ; je pense en outre que c’est une chance pour les enfants de ce collège d’apprendre à vivre en harmonie avec une personne « différente » ;

7/ Les positions et tergiversations de l’administration sont multiples, ambiguës, floues, changeantes, parfois abracadabrantes, et ne brillent pas par leur bonne foi :
– j’ai été témoin, face à l’inspecteur d’académie et à d’autres « responsables », de classiques « non-réponses » aux questions qui dérangent, ou bien de diversions du style « merci pour ce moment de partage et de dialogue humain » alors qu’ils n’avaient rien partagé du tout et qu’ils avaient juste écouté (sans vraiment répondre, et d’un air un peu amusé et surpris) lorsque je tentais d’aborder le problème sous l’angle « humain » et non pas administratif (comme si l’humain était hors-sujet dans leur système de pensée…) : dans ces conditions, on peut raisonnablement mettre en doute la bonne foi, la bonne volonté et le bon sens censés présider aux décisions de ces personnes (qui reconnaissent même n’avoir jamais vu l’enfant…) ;
– en ce qui concerne les décisions de la MDPH, presque toutes mes expériences personnelles ont été désastreuses, et le fait que la MDPH puisse avoir un avis pertinent dans cette affaire me paraît surréaliste et presque risible (et ce sentiment est courant dans la communauté) ;

8/ Je rappelle que l’Alliance Autiste défend l’éducation inclusive, c’est à dire hors-institutions fermées et réservées aux handicapés, notamment parce que :

a) Les autistes ont besoin « d’apprendre la société », ce qui est difficile dans un univers « médical » coupé du monde ;

b) Beaucoup d’entre nous comprennent que le secteur « médico-social » (notamment les institutions et les hôpitaux) a – sauf preuve du contraire – pour préoccupation principale ses propres intérêts financiers (notamment ses emplois) lesquels sont alimentés par un système de santé national généreux, ce qui coûte beaucoup plus cher à la collectivité qu’un enseignement en milieu ordinaire, pourtant efficace avec les adaptations nécessaires (comme des AVS de qualité), et qui serait plus juste et plus humain : il semble donc que ces institutions accueillent volontiers les autistes (entre autres) pour justifier leurs subventions, et nous n’acceptons pas que Timothée et les autres servent de « combustible » alimentant cette machinerie qui par ailleurs aspire la plupart des crédits gouvernementaux alloués à l’autisme (et de manière inefficace, en plus – ce qui est démontré par les multiples et explicites condamnations judiciaires internationales de notre pays), en ne laissant que des miettes pour tout ce que nous essayons de faire pour nous en sortir « hors-ghetto », c’est à dire dans la vraie vie – j’invite le lecteur ou la lectrice souhaitant vivre en institution (ou souhaitant que son enfant « ordinaire » soit expédié dans une institution) à ne pas être d’accord avec cela ;

9/ Pour finir, je signale qu’au niveau international, une priorité des grandes organisations de défense des enfants est la « désinstitutionnalisation » (cf. http://www.wearelumos.org/stories/supporting-deinstitutionalisation-focus-autism (Lumos travaille pour l’UNICEF)) et que, au vu de tout ceci, toute manœuvre ou orientation administrative susceptible d’entraîner un risque d’institutionnalisation ne peut qu’être gravement préjudiciable à cet enfant, qui bénéficiait jusqu’à maintenant d’un environnement stable et équilibré entre son domicile, sa famille, son quartier, son collège, ses camarades.

10/ En résumé, nous sommes face à :

– d’une part, un enfant fragile vivant de manière assez heureuse dans un environnement calme, sensible, aimant, humain, propice à son développement, et qui jouit de la sympathie et de la solidarité de tous les individuels qui l’approchent humainement et naturellement (c’est-à-dire sans influences de prérogatives administratives confuses, inadaptées, arbitraires et parfois brutales), un enfant autiste bien intégré avec les enfants non-autistes, ce qui est encourageant et touchant, et ce qui forme un ensemble cohérent (et fragile) ;

– d’autre part, des adultes, regroupés et retranchés derrière un système administratif machinal tout-puissant, complexe, abstrait et moyennement adapté à la réalité, et qui – sans grande connaissance ni de l’autisme ni de la vie réelle de cet enfant – s’acharne à lui imposer des changements perturbants et d’une efficacité très discutable, avec une obstination et une animosité basées principalement sur des agacements entre adultes, en dépit de tous les arguments de façade qui nous sont servis par l’administration, et auxquels on peut difficilement croire, tant ils sont variables, modifiés, ou même oubliés quand ils ne sont plus défendables (comme cette prétendue « dangerosité » : un problème au collège de la Tourette, mais pas dans celui où on veut l’envoyer ?? (tout le reste est à peu près du même tonneau…)).

D’un côté, un enfant autiste fragile un peu perdu ; et d’un autre côté un grand groupe d’adultes non autistes, détenant dans les faits tous les pouvoirs : choisissez votre camp…

Que les services publics me permettent – si possible – de leur rappeler… qu’ils sont au service du public, et non l’inverse. Que les fonctionnaires sont là pour accomplir leur mission et non pour soigner leur amour-propre.
Toutefois, je ne veux pas blesser, par ces propos, les agents du service public qui sont réellement de bonne foi et de bonne volonté, même si leur influence dans cette affaire reste hélas marginale.

Je ne veux pas que les autistes soient traités par l’administration comme des paquets dans un centre de tri postal.

Je refuse qu’un enfant sans défense, autiste et handicapé de surcroît, soit le jouet et la victime d’un système administratif déconnecté de la réalité humaine, préoccupé par ses propres intérêts, son orgueil et sa solidarité interne, le tout dans un état de confusion évidente, alimentée par les querelles d’ego, les crispations voire la colère des adultes, qui ne parlent de l’intérêt de l’enfant que de manière abstraite et déshumanisée.

Je pense que les autistes ne doivent pas être victimes de « la loi des plus forts car les plus nombreux » (tout est organisé par la majorité pour la majorité, sans vraiment tenir compte des autistes), car c’est précisément le rôle de l’Etat et de la Justice que de protéger les plus faibles des abus des plus forts.

Nous sommes 1% du monde, plus de 70 millions.

Nous aussi, nous avons droit à une qualité de vie comparable à celle des Personnes Non Autistes, qui ne connaissent pas l’angoisse de ces perpétuelles tracasseries, mesures de mise à l’écart (etc. etc. – je ne vous dresse pas la liste), infligées par des services publics qui devraient pourtant nous aider – sans parler de toutes les autres difficultés ou souffrances qui nous sont imposées lorsque notre particularité neurologique ultra-sensible est soumise, de force, aux agressions et incohérences de la société actuelle (souvent à l’insu de cette dernière).

Je renouvelle mon soutien moral chaleureux à Timothée et à sa famille, ainsi qu’aux trop nombreuses familles accablées par des « chemins de croix » similaires, dans une France qui aime bien les autistes (et les autres « différents ») pourvu qu’ils ne dérangent pas, pourvu qu’ils soient « ailleurs ».

J’invite ceux et celles qui veulent que ça change… à se rapprocher des mouvements de défense des autistes (ou d’autres initiatives similaires).

Et – pourquoi pas – j’invite également les fonctionnaires réellement désireux de nous aider… à le faire… « pour de vrai ».

Laissez-nous vivre tranquillement, SVP.
Comme vous.

Eric LUCAS (Autiste Asperger)
contact@allianceautiste.org

 

4 thoughts on “Message à propos de l’exclusion de Timothée, autiste, de son collège de secteur à Lyon”

  1. Bonjour, je suis très fiere de votre travail et fière de la maman de Timothée, maman d’un autiste asperger je suis affolée de voir de telles choses, quand à la MDPH que dire ? … Elle décide de tout sans connaitre les personnes, elle décide de qui sera soigné ou non ( et oui tous les soins ne sont pas pris en charges et c’est la MDPH qui décide si on peut avoir une aide ou non, pour ma part mon fils souffre de dyspraxie et on m’a refusé la prise en charge pour les séances d’ergo, j’ai fait appel rien ne change, manque de moyens, il y a pourtant de l’argent pour des choses qui ne servent à rien, mais bon) Courage à vous, continuez vous battre, j’espère qu’un jour cela portera ses fruits 🙂

    1. Bonjour, merci pour votre soutien, c’est très gentil ! Il y a tant à dire et à faire ! Il faut se battre, ne jamais accepter, comme le fait si bien Marina.

  2. Bravo pour ce que vous faites. Je suis outrée et très affectée parce qui arrive a ce garçon. Mon fils est autiste d’asperger et récemment il m’a dit être triste parce qu’il est handicapé. Je lui ai répondu très sincèrement que je l’aimais tel qu’il est et qu’il est exactement tel que je voulais qu’il soit. Je ne pourrais pas me protéger tout le temps mais j’espère lui donner assez d’amour pour que nous soypns tous heureux ensemble.
    Marion Chauvin

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