Intervention d’Eric LUCAS à l’UNESCO le 17/12/14

Intervention à l’UNESCO d’Eric LUCAS (Alliance Autiste) représentant Autistic Minority International, avec l’aimable autorisation très exceptionnelle du Comité de liaison des ONG (17/12/14)

Ci-dessous, enregistrement de la traduction simultanée en anglais (par moments approximative, en raison d’une diction un peu trop rapide) :

(si ce lecteur ne fonctionne pas, cliquez ici)

 

 

Mesdames et Messieurs,

Merci pour cette exception et pour votre écoute ; je suis Eric LUCAS, autiste à haut niveau de fonctionnement, fondateur de l’Alliance Autiste, ONG d’autistes pour l’entraide et la défense globale des autistes, et représentant ici l’ONG Autistic Minority International, basée à Genève et oeuvrant notamment auprès de l’ONU.

Environ 1% de la population mondiale présente une forme d’autisme.

L’autisme n’est pas une maladie, mais une particularité neurobiologique, entraînant des troubles plus ou moins importants, et résultant toujours en un handicap au contact de la société.

L’un des besoins vitaux des autistes, c’est d’apprendre à vivre avec la collectivité, d’apprendre ses codes, qui varient selon les groupes, et qui nous échappent puisque nous ne faisons partie d’aucun groupe, et que nous avons des façons de penser très éloignées des différentes normalités sociales.

Nous faisons beaucoup d’efforts pour nous adapter, surtout en essayant de ne pas faire apparaître nos différences, car la société rend la vie difficile à tous ceux qui s’écartent de la norme.
Mais nous ne pouvons pas faire la totalité des efforts : un peu comme avec les rampes d’accès pour fauteuils roulants, nous avons souvent besoin d’une petite aide, ou d’une simple prise en compte, qui nous changerait la vie.

L’autisme est difficile à comprendre, mais aussi à détecter, y-compris pour les nombreuses personnes qui souffrent toute leur vie de frictions sociales sans même savoir que celles-ci sont dues à l’autisme.

Pour moins souffrir, les autistes ont avant tout un besoin « d’éducation sociale », en plus d’un enseignement correspondant à leurs aptitudes.

Malheureusement, la quasi-totalité des enfants autistes de par le monde ne bénéficient de rien de tout cela, et vivent plus ou moins dans l’abandon (comme les adultes, d’ailleurs).

Ceci représente plusieurs dizaines de millions de personnes, auxquelles s’ajoutent hélas également les centaines de millions d’handicapés en général, touchés bien souvent par la double peine du handicap et de la pauvreté, laquelle se trouve encore aggravée par celui-ci.

Et comme si ce n’était pas assez, dans certains pays (dont notamment la France) de trop nombreux enfants autistes sont chassés de la société libre, pour être parqués dans des établissements de détention médicale qui s’occupent davantage de les garder que de leur bien-être.
Sans parler de tous les autistes adultes qui croupissent injustement, de force, dans des hôpitaux psychiatriques.
Garder les autistes et les handicapés enfermés, c’est aussi s’assurer des revenus financiers durables, confortables, sans obligation de résultat, et (en France) en facturant des prix à la journée astronomiques, rendant la collectivité à la fois complice (par le biais de la méconnaissance et de l’immobilisme) et à la fois victime (par le biais des taxes).
Le système est bien rôdé, c’est « la poule aux oeufs d’or » pour certains : il est difficile de changer cela, surtout seuls et sans moyens.

Il va de soi que les autistes, qui ont besoin d’être en contact avec la société ordinaire pour en apprendre peu à peu les mécanismes (hermétiques pour eux car perçus comme incohérents, injustes et antinaturels), ne peuvent pas évoluer dans ces conditions d’exclusion et d’infériorité, et, souvent même, ils y régressent.

Pour les plus jeunes, on peut comparer cette situation à une forme d’exploitation des enfants handicapés générant des gains financiers confortables (surtout en France) avec l’approbation passive de la société, sur fond de peur de l’inconnu, et du principe de précaution.

Personnellement je suis touché par toutes les actions que vous menez de par le monde, tout particulièrement les efforts pour l’éducation, pour les enfants, car tout commence par là et c’est ainsi que nous pouvons rendre le monde meilleur, un monde de compréhension et donc de paix.
J’ai également été très ému avant-hier en voyant le film montrant les villageois qui dansent quand l’eau jaillit enfin du forage.
La souffrance du monde est inacceptable, insupportable ; et l’égoïsme, qui en est souvent la cause, est misérable.

Les millions d’enfants et d’adultes autistes dans le monde sont trop souvent oubliés (ou parfois exploités par des business médico-sociaux) et c’est pourquoi nous avons besoin de l’aide de tous, et –je l’espère- des ONG et des gouvernements, pour prendre en compte les autistes dans leurs politiques, car 1%, certes ce n’est pas beaucoup, pour vous, mais pour nous qui sommes ces 1%, je vous assure que la vie n’est pas facile, car tout est fait par les 99% pour les 99%, ce qui nous en exclut.

Je comprends qu’il est difficile pour vous d’englober un sujet aussi énigmatique, mais heureusement il existe des autistes capables de comprendre aussi bien les autistes que les non-autistes, et certains d’entre eux cherchent à agir ; c’est pourquoi, si vous voulez nous aider, et aider tous ces enfants (sans oublier les enfants autistes devenus des adultes autistes, oubliés parmi les oubliés), il faut nous contacter, et inviter les gouvernements à en faire autant.
Nous pouvons vous aider à nous aider.

Sur Internet : Alliance Autiste pour la France, Autistic Minority International pour le monde.

Je ne peux pas conclure sans partager avec vous ma tristesse profonde, ma peine profonde, en pensant à tous les enfants massacrés hier au Pakistan par la haine délirante du fanatisme, en pensant à tous ceux qui n’ont pas droit à l’éducation, aux centaines de millions d’êtres humains qui souffrent pour des raisons qui pourraient être évitées, comme c’est le cas aussi pour la belle planète qui nous héberge et ses animaux, qui ne méritent pas cela.
Le droit est fait pour protéger les plus vulnérables de la folie des hommes : alors pour ré-enchanter le monde il faut d’abord que le droit soit appliqué de manière effective, et que tous s’y emploient pour de bon, pour de vrai.

Merci beaucoup, à vous toutes et tous, pour votre attention et pour ce que vous faites, pour vos efforts et votre bienveillance que j’ai particulièrement ressentie ici ;
merci beaucoup également au comité de liaison de l’Unesco pour avoir permis à un autiste d’être écouté.
Nous souhaitons ne plus être les éternels oubliés.
Merci.