Intervention d’Eric LUCAS à l’OMS (Genève), le 10 octobre 2014

For the speech in English, please scroll down to the text in blue

A l’occasion du “World Mental Health Day” en présence de Mr SAXENA, Mr YASAMI, et d’autres responsables du programme de santé mentale.

Mon intervention est un peu “chaotique” (faute de préparation et de sommeil – j’en ai écrit une bonne partie pendant que d’autres gens parlaient, ce qui n’est pas facile pour moi (TDA)) mais je pense avoir dit des choses importantes, et transmis ce que beaucoup d’autistes adultes veulent faire savoir.
Ce que j’ai dit a été bien apprécié (largement plus applaudi que les autres (8 secondes, d’après l’enregistrement)).
Comme à l’ONU, pas mal de personnes sont ensuite venues me dire à quel point elles avaient aimé ce que j’ai dit.
(Qui d’après moi était loin d’être parfait, mais bon… c’est mieux que rien).
Il y avait beaucoup de spontanéité et d’émotion dans ce que j’ai dit, et de toute évidence j’ai touché les gens (comme à l’ONU en juillet).
En gros j’ai mis les pieds dans le plat, direct ;-).
Mais ça a été bien perçu ; je pense que c’est vraiment utile de “secouer” un peu, et de nous exprimer par nous-mêmes.
D’ailleurs l’OMS soutient cela : la participation des usagers.

Durant mon séjour, j’ai eu de très bons contacts avec deux organismes importants qui défendent les handicapés (mais ceci ne concerne pas que la France).

Je remercie toutes les personnes de notre mouvement en France, que j’ai consultées la veille (n’ayant appris ma participation que 22h avant la conférence, et très occupé dans d’autres choses à l’ONU).
Toutes m’ont dit à peu près la même chose (“Dis-leur que l’autisme n’est pas une maladie”) et je crois avoir vraiment bien insisté là-dessus, en détachant mes mots, en expliquant.
Je n’ai pas pu transmettre tous les messages, et c’est déjà beau que j’aie pu parler aussi longtemps (8 mn).

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Ci-dessous, la traduction en français de ce que j’ai dit  :  (l’original est en bleu, plus bas)

(début du ‘copier-coller’, pour publication éventuelle sur vos pages)
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Traduction en français de l’intervention d’Eric LUCAS à l’OMS (Genève), le 10 octobre 2014 (voir contexte et détails ici : https://allianceautiste.org/2014/10/intervention-eric-lucas-oms-geneve-10-octobre-2014/ )

(Je m’appelle Eric LUCAS, je suis un autiste Asperger, c’est un peu difficile pour moi de parler dans cette situation) (…)

Merci beaucoup pour m’avoir donné l’occasion de parler de mon expérience, et aussi de dire certaines choses au nom des autres autistes comme moi en France, qui m’ont écrit hier pour me demander de vous donner un message très fort (même si ce n’est peut-être pas exactement dans le thème d’aujourd’hui – mais nous les autistes avons rarement l’occasion de nous faire entendre).

Nous voulons vraiment que vous sachiez ceci: nous voulons absolument que les gens comprennent que l’autisme * n’est * PAS * une * maladie *.


Nous sommes neurologiquement différents, profondément différents, comme étant «câblés» d’une manière différente, d’une manière hyper-sensible et hyper-sensée, ce qui bien sûr nous cause de gros problèmes et de la souffrance dans la société actuelle, perçue par nous comme incohérente et injuste.

Le plus gros problème que nous avons en France est que l’autisme est encore officiellement considéré comme quelque chose de médical, et donc c’est l’administration publique MÉDICALE qui est en charge des autistes.
Et pour eux, il semble naturel de les mettre [lapsus!] – de nous mettre dans des hôpitaux ou des institutions.

Mais notre besoin le plus indispensable, est de * D’APPRENDRE * LA SOCIÉTÉ *, d’apprendre à vivre avec la société. (Avec vous).
C’est ce que avons vraiment besoin d’apprendre. Et, si possible, avec de la compassion et de l’amour de la part des personnes «normales». Pas du rejet ni de la peur.

Par conséquent, nous mettre dans des établissements médicaux apparaît comme un total, un incroyable non-sens. Beaucoup de personnes autistes et leurs familles en France sont vraiment DÉSESPÉRÉES parce qu’elles savent qu’il existe des lois et des conventions internationales qui sont bonnes pour nous (les autistes) -particulièrement contre l’institutionnalisation- mais rien n’est appliqué (en France), et tous les services de l’Etat semblent être d’accord (ensemble) pour les ignorer, ou faire semblant de les ignorer (on ne sait pas).

Nous avons vraiment le sentiment d’être une sorte de «carburant» pour l’industrie médicale ou médico-sociale, qui bénéficie de notre système de sécurité sociale très généreux (en France) ((Je suis désolé de vous dire ça, mais c’est ce que nous ressentons)), et tout cela ressemble à un lobby très puissant.

Je parle d’un sujet (l’hospitalisation) que je connais bien pour avoir été détenu contre ma volonté dans un hôpital psychiatrique pendant 15 mois en France, mais dont je ne devrais rien savoir car j’étais là-bas en raison de l’erreur des médecins publics, ce qui est malheureusement une situation courante en ce qui concerne les autistes.
Quand j’étais là-bas, je n’ai remarqué aucune amélioration chez mes co-détenus, et j’ai pensé qu’ils seraient mieux dans d’autres endroits, comme des fermes (avec sécurité) ou quelque chose de plus SAIN, plus HUMAIN, surtout au vu du prix fou d’une journée d’hôpital.

Les autistes sont exclus de la société normale, LIBRE, et isolés (ségrégués) dans des endroits spéciaux, où ils peuvent apprendre à vivre avec d’autres personnes handicapées SEULEMENT, et aussi où les plus jeunes imiteront les autres, ce qui les privera finalement de toute chance de comprendre comment vivre «à l’extérieur», avec le reste de la société (la société libre).

Nous avons besoin d’ÉDUCATION (qui est vitale), pas d’être SOIGNÉS (ce qui de toute façon ne marche pas).

Les médecins ne m’ont rien appris pendant mon séjour, et (je suis désolé de dire cela, mais c’est la vérité) je n’ai trouvé aucun intérêt dans les relations avec mes co-détenus.
Quand vous êtes là-bas, vous sentez vraiment très profondément le fait que vous êtes «en-dessous» des autres, des «normaux», qui ont le droit de vivre et de se déplacer librement, mais pas vous. Vous ressentez une sorte de HONTE.

En ce moment à Lyon il y a le cas d’un garçon nommé Timothée, un garçon autiste de 15 ans très calme : il vit PAISIBLEMENT avec sa famille, avec beaucoup d’attentions (de soin), et il était dans une école classique (ordinaire), où il était très heureux d’être «comme les autres», jusqu’à récemment, mais l’administration française est maintenant (en ce moment même) en train d’essayer de l’envoyer dans une institution, où il va certainement se sentir comme un humain de seconde classe (un garçon de seconde classe), et où il va manquer de tout l’amour et de toute l’attention de sa famille.
Même ses camarades de classe, qui l’aiment tous, sont tristes (c’est vrai, j’ai vu cela).

Quand j’avais 6 et 7 ans, j’étais dans une institution ; je n’ai jamais pu savoir pourquoi. Ma mère dit que «les médecins lui ont dit que ce serait mieux pour moi». Je suis désolé de dire ça, mais, là-bas, j’ai seulement appris à détester vivre avec les autres (à détester la vie avec les autres). (Je suis désolé).
Heureusement, les choses vont mieux maintenant, mais ce séjour a été si terrible pour moi que je me souviens bien que chaque dimanche soir quand ma mère me conduisait là-bas, pendant tout le trajet (plus de trente minutes), je pleurais, et que j’ai demandé de nombreuses fois d’arrêter cela.
J’ai redécouvert cette partie de ma vie, qui était comme enterrée, avec honte, et beaucoup de souffrance.

Merci.

Eric LUCAS (Autiste Asperger)
contact@allianceautiste.org

N.B. J’ai oublié de parler d’une chose importante : les ADAPTATIONS que nous sommes en droit d’attendre (et pas seulement l’éducation). J’étais un peu obnubilé par la problématique “éducation vs. médical” (par rapport à l’affaire Timothée).
Mais j’en ai parlé dans un email ultérieur à M. YASAMI.
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(fin du ‘copier-coller’, pour publication éventuelle sur vos pages)

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Mr YASAMI (un des directeurs du programme de santé mentale de l’OMS) est venu me parler après la conférence.
En gros il admet le principe de refus du “tout médical”, mais il dit que ce qu’ils recherchent, c’est des solutions. Ils nous suivront si on leur en propose (surtout au sujet des autistes les plus “difficiles” bien sûr, mais on pourrait tout de même commencer par les choses “moins difficiles”, à mon avis – par exemple avec tous les “oubliés”).
Il m’a dit aussi que qui dit neurologique dit tout de même médical. J’ai répondu qu’on avait surtout besoin d’éducation, et que même si c’est neurologique, c’est pas pour autant que ça peut être “soigné”.
Il y a déjà beaucoup d’idées qui circulent, mais vous qui lisez vous pouvez envoyer les vôtres (contact@allianceautiste.org).
Je ne suis pas docteur ni spécialiste. J’ai été invité, j’ai dit ce que je pouvais, c’est tout.

Dans tous les cas, il a lourdement insisté sur le fait que la politique de l’OMS est contre l’institutionnalisation, sauf pour les cas où on ne peut pas faire autrement.
Il a d’ailleurs conclu la conférence par ça.

Toutes les personnes travaillant à l’OMS et avec lesquelles j’ai parlé (parfois assez longuement) étaient très sympathiques et comprenaient bien ce que je leur disais.
J’ai ressenti les lieux, tout le bâtiment de l’OMS, comme un endroit plein de “bonnes vibrations” ; on m’a confirmé qu’ils veulent vraiment bien faire, pas juste faire semblant.

Quand on revient en France ……….
(auto-censuré…)

Les autistes se bougent et vont jusqu’à l’ONU et l’OMS.
Nous y sommes reçus, respectés, écoutés, compris, et on nous répond.
Nous avons le droit d’exiger qu’il en soit de même dans notre propre pays.
Je pense qu’il faut nous soutenir les uns les autres, agir de manière concertée, et pas seulement se plaindre ou s’agiter chacun dans son coin, en tirant dans tous les sens.

A l’OMS j’ai également découvert la toute nouvelle résolution ci-dessous : il faudrait voir comment on peut l’opposer à notre gouvernement.

Résolution WHA 67.8 de l’OMS du 24 mai 2014 :
– Pour les campagnes de sensibilisation : voir paragraphe 3 (page 3).
– Contre l’institutionnalisation : voir paragraphe 6 (page 3).
– Pour l’aide de l’Etat pour le travail : voir paragraphe 11 (page 3).
http://apps.who.int/gb/ebwha/pdf_files/WHA67/A67_R8-fr.pdf
Cette résolution est prise par l’Assemblée Mondiale de la Santé, qui “INVITE INSTAMMENT” les Etats membres à l’appliquer. La France fait partie de cette assemblée et donc participe à cette décision (qui toutefois n’est pas une obligation légale). On ne peut pas en même temps décider et s’engager à, et, sur le terrain, ne rien faire.
A mon avis, il ne pas hésiter à rappeler aux services publics leur engagement.
Ce texte cite aussi, au début, d’autres décisions qui “préconisent toutes d’apporter une réponse énergique aux besoins des personnes atteintes de troubles du développement, y compris les troubles du spectre autistique ;”
(On se demande où est cette “énergie” quand le gouvernement ne daigne même pas nous répondre…)

Eric LUCAS (Autiste Asperger)

contact@allianceautiste.org

 

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Transcription originale de mon intervention (qui était en anglais) :

(My name is Eric LUCAS, I’m an Asperger autistic ; it’s a bit difficult for me to talk in this situation.) (…)

Thanks a lot for giving me a chance to talk about my experience, and also to say some things on behalf of the other autistics like me in France, who wrote me yesterday to ask me to give you a very strong message (even if maybe it’s not exactly in the theme of today – but we the autistics rarely have occasions to be heard).

We really want you to know this : we definitely want that people understand that * autism * is * NOT * a * disease *.

We are neurologically different, deeply different, like being “wired” in a different manner, a hyper-sensitive and hyper-sensible manner, which of course causes for us big problems and suffering in the current society, perceived by us as inconsistent and unjust.

The biggest problem that we have in France is that autism is still officially seen as something medical, and therefore, it is the public MEDICAL administration who is in charge of autistics.
And for them, it seems natural to put them [lapsus !] – to put us in hospitals or institutions.

But our most indispensable need, is to * LEARN * SOCIETY *, learn how to LIVE with society. (With you.)
This is what we really need to learn. And, if possible, with compassion and love by “normal” people. Not rejection nor fear.

Therefore, putting us in medical institutions appears as a total, incredible nonsense. Many autistics and their families in France are really DESPAIRED because they know that there are international laws and conventions which are good for us (the autistics) -especially against institutionalisation- but nothing is applied (in France), and all the services of the state seem to be agreeing (together) to ignore them, or to pretend to ignore them (we don’t know).

We really have the feeling of being a kind a “fuel” for the medical or medico-social industry, which benefits from our very generous social security system (in France) ((I’m sorry to tell you this but this is what we feel)), and all this looks like a very powerful lobby.

I’m talking about a subject (hospitalisation) that I know well for having been detained against my will in a psychiatric hospital during 15 months in France, but that I should not know because I was there due to the error of the public doctors, which is unfortunately a common situation regarding autistics.
When I was there, I did not notice any improvement among my co-detainees, and I thought that they would be better in other places, like farms (with security) or something more SANE, more HUMAN, especially given the crazy price per day in hospitals.

Autistics are excluded from the normal, FREE society, and segregated in special places, where they can learn how to live with other disabled persons ONLY,and also where the younger ones will imitate the others, which will finally deprive them from any chance to understand how to live “outside”, with the rest of society (the free society).

We need EDUCATION (which is vital), not to be CURED (which can’t work anyway).

Doctors taught me nothing during my stay, and (I’m sorry to say that but it’s the truth) I found no interest in relationships with my co-detainees.
When you are there, you really feel very deeply the fact that you are “under” the others, “the normal ones”, that they have the right to live and move freely, but not you. You feel a kind of SHAME.

Right now in Lyon there is the case of a boy named Timothée, a very calm 15 years autistic boy : he lives PEACEFULLY with his family, with lots of care, and was in a mainstream school (a regular school) until recently, where he was very happy to be “like the others”, but the french administration is now (right now) attempting to send him in an institution, where he certainly will feel like a second-class human (second-class boy), and where he will miss all the love and care of his family.
Even his schoolmates, who all love him, are sad (this is true, I saw this).

When I was 6 and 7 years old, I was in an institution ; I’ve never been able to know why.
My mother says that “the doctors told her it would be better for me”.
I’m sorry to say that, but, there, I just learned to hate living with others (to hate life with others). (I’m sorry).
Hopefully things go better now, but this stay was so terrible for me that I remember well that every sunday night when my mother was driving me there, during all the way (more than thirty minutes) I was crying, and also that I asked many many times to stop this.
I re-discovered this part of my life, which was like buried, with shame, and a lot of suffering.

Thank you.

 

 

 

 

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9 thoughts on “Intervention d’Eric LUCAS à l’OMS (Genève), le 10 octobre 2014”

  1. Votre témoignage m’a beaucoup émue. Je suis désolée d’apprendre que vous avez été interné de force. Je ne peux m’empêcher de transposer votre parcours à celui de mon filsvet je me dit que notre famille est chanceuse pour le moment d’être tombé sur des psy qui ont su tenir compte du tempérament de Martin. Bravo pour vos actions je n’ose imaginer le trouble et l’angoisse ressentie avant chaque intervention. Vous etes formidable.

    1. Merci beaucoup ! 🙂
      Effectivement c’est assez angoissant de parler dans ces conditions.
      Mais justement c’est une manière d’apprendre à “affronter la société”.
      Merci pour votre encouragement qui me renforce dans la conviction de défendre avec une certaine justesse une cause juste.

  2. Merci beaucoup pour ce témoignage cela fait du bien d entendre une personne autiste qui parle de lui pour lui et pour les autres au nom de tout les autres merci beaucoup pour mon fils de 9ans autiste .

  3. Un grand Merci !!! Merci pour ce témoignage et ce dépassement de soi, un grand bravo !
    Maman d’un enfant autiste 11 ans scolarisé en Belgique faute de places en France mais principalement dans notre département du Val de Marne.

    1. Merci à vous ! On essaie modestement de faire ce qu’on peut à propos de toutes ces injustices…
      A propos de l’exil en Belgique (entre autres), le CCNE a rendu un avis très intéressant et pertinent, qui expose clairement et noir sur blanc la situation en France. ( http://www.ccne-ethique.fr/fr/publications/sur-la-situation-en-france-des-personnes-enfants-et-adultes-atteintes-dautisme )
      Nous essayons de nous organiser pour obtenir du gouvernement qu’il fasse ce qu’il promet…
      Ce n’est pas facile, quand le peu de moyens sont distribués à d’autres, et que les ministères ne daignent même pas nous répondre.
      C’est pour ça que l’action internationale est utile aussi.
      Ca ne fait que commencer………………………..
      Bon courage pour votre enfant… nous n’avons aucun pouvoir ‘officiel’ (juste de la bonne volonté suivie d’efforts), mais nous ferons tout ce que nous pouvons pour faire avancer les choses.

  4. Merci merci beaucoup d avoir pris le temps de vous exprimer pour nous tous, parents et proches et aussi autistes.

    Votre parcours m’a touché et je souhaite que plus personne ne le vive.

    Bonne continuation,

    Anne maman d un petit garçon TSA

    1. Merci Anne, votre message me touche aussi.
      C’est frustrant de n’avoir aucune aide concrète à proposer quand on lit les messages des parents qui citent leur petit “boutchou”, mais en même temps cette frustration donne autant de motivation pour se défendre et pour faire en sorte que l’on commence à nous respecter. Presque tout est à faire. C’est un combat !
      Mes meilleures pensées pour votre enfant et tous ceux qui sont oubliés ou bannis par l’hydre…

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